Le secteur agricole et agroalimentaire français, en deuxième ligne face à la crise sanitaire, n’a pas flanché. Les producteurs, les industries de la trans- formation et les distributeurs ont répondu présents pour s’adapter en urgence à la demande.
L’agriculture, chère au cœur et au goût des Français, va pourtant très mal. Vins, fromages, céréales... Les piliers de la gastronomie française n’arrivent plus à conquérir le monde. Effondrement de la compétitivité, revenus en chute libre, « agribashing » systématique dans le débat public. L’agriculture française ne représente plus que 5 % des échanges internationaux de produits agroalimentaires alors qu’elle se situait à 8 % en 2000. Troisième exportateur mondial il y a encore 15 ans, la France est passée en sixième position, derrière les Pays- Bas et l’Allemagne. Si la tendance se poursuit, nous deviendrons importateurs nets d’ici quelques années.
La crise du coronavirus révélerait l’urgence de protéger l’agriculture. Le chef de l’État déclarait le 12 mars dernier : « Déléguer notre alimentation [...] à d'autres est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraines. » D’autant plus que les enjeux écologiques imposeraient de manger local et « bio ».
Cette tentation du repli ravit à la fois la FNSEA, le syndicat majoritaire et les prétendus écologistes : « N’importons pas l’agriculture dont nous ne voulons pas !» Cette coalition de circonstance entre ennemis jurés risque d’aboutir à une résurgence du protectionnisme au détriment du consommateur et de la compétitivité du secteur.
L’agriculture française est aujourd’hui face à un choix. La première option est de succomber à la fausse écologie, celle du « bio » et du circuit court. Ce serait renoncer à l’export et à la compétitivité. En un mot, maintenir la perfusion de subventions tout en assommant de normes plus ou moins obscurantistes au nom du bioconservatisme (interdiction des OGM, du glyphosate, zones de non-traitement). « Si ça bouge, taxez-le. Si ça continue à bouger, réglementez-le. Si ça s’arrête de bouger, subventionnez-le » : la célèbre citation de Ronald Reagan n’a jamais été aussi vérifiée.
La seconde option consiste à faire le choix du progrès, de la compétitivité et de la vraie écologie. Plus l’agriculture est productive, plus on peut libérer d’espace pour des parcs naturels et des réservoirs de biodiversité. Les OGM sont la seule alternative viable pour diminuer la charge en pesticides tout en conservant de hauts rendements pour nourrir la planète.
Selon le Programme alimentaire mondial de l’ONU, du fait de la pandémie de Covid-19, le nombre de personnes confrontées à une crise alimentaire pourrait doubler d’ici fin 2020, atteignant plus de 250 millions. Dans ce cadre, se fourvoyer dans les illusions du « bio » et du circuit court reviendrait à affamer les pays pauvres.
L’agriculture française, si elle veut sur- vivre, doit faire le choix de la compétitivité. Plusieurs modèles sont possibles et peuvent coexister. Encore faut-il qu’ils puissent émerger. Enfermée dans les dogmes de la petite exploitation familiale revendiquée par la FNSEA et du « bio » imposé par des organisations bioconservatrices radicales, une véritable technostructure administrative a développé ses tentacules sur toute la filière. Comment dès lors libérer les agriculteurs de leurs entraves ?
« J’ai de nouveaux clients en Chine, mais je n’ai pas le droit de produire plus chez moi ! » Ce témoignage de jeunes entrepreneurs agricoles est malheureusement courant. Si la politique européenne des quotas a été assouplie, elle n’a pas entièrement disparu dans certains secteurs. L’Union européenne continue, par exemple, de limiter les plantations de vigne, ce qui réduit les opportunités de croissance.
Impossible de construire une grande exploitation en France. Le cas emblématique de la ferme des 1000 vaches, qui est la norme outre-Rhin, et qui a fait l’objet de multiples recours pendant des années, témoigne des restrictions à la liberté d’entreprendre.
Toute personne qui s’installe ou agrandit une exploitation est soumise à une autorisation d’exploiter. L’agriculteur doit respecter le schéma directeur régional des structures et s’il s’en écarte, il doit passer devant une commission digne d’un conseil soviétique, composée de syndicats et de concurrents, pour évaluer si son projet est acceptable.
Les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) sont des organismes parapublics contrôlés par les syndicats qui détiennent le privilège légal de préempter les terres au nom d’un intérêt général qu’ils ont aussi tout le loisir de définir. Officiellement chargées de lutter contre l’artificialisation ou la spéculation, leur monopole sur le « bien commun » permet de petits arrangements entre amis. Grâce à la menace de la préemption, elles peuvent faire pression pour empocher de juteuses commissions en jouant les intermédiaires lors des ventes. Les SAFER imposent une véritable omerta dans les campagnes de France.
Autre organisme parapublic à l’utilité douteuse : les interprofessions. Elles sont financées par une taxe appelée contribution volontaire obligatoire (CVO) et peuvent définir des règles communes obligatoires et anticoncurrentielles au sein d’une filière. Si les organisations de producteurs sont légitimes, elles devraient rester strictement volontaires et ne pas s’imposer aux agriculteurs qui ne souhaitent pas en faire partie.
Le monopole des appellations d’origine (AOC) est devenu un véritable instrument anticoncurrentiel qui limite l’innovation. Les signes de qualité devraient rester du ressort des associations privées permettant à des agriculteurs de promouvoir leur terroir par un label, mais sans nuire aux autres producteurs qui souhaiteraient eux aussi préciser leur indication géographique d’origine. De la même manière, le label « Agriculture biologique » jouit d’un monopole garanti par l’UE et l’État alors qu’il repose sur des fondements à la scientificité douteuse (ce qui est « naturel » serait bon et ce qui serait « synthétique » serait mauvais).
En prenant en compte le financement de la mutualité sociale agricole (MSA) et la politique agricole commune (PAC), ce sont près de 33 milliards d’euros que le contribuable français doit injecter dans le secteur chaque année. Une récente étude évalue que chaque emploi agricole européen « sauvé » coûterait 375 000 euros par an. Nous avons calculé à l’IREF que les subventions pour une exploitation moyenne égalent le revenu net d’exploitation. De nombreuses entreprises touchent donc plus de subventions qu’elles ne tirent de profits.Ces aides sont un cadeau empoisonné, une illusion de richesse pour de nombreux agriculteurs qui feraient mieux de tourner la page.
Les subventions sont inégalement réparties selon les formes d’agriculture, faussant d’autant plus la concurrence en masquant la réalité des prix. Un litre de lait « bio » est par exemple subventionné 50 % de plus qu’un lait conventionnel.
L’IREF dénombre près d’un fonctionnaire pour vingt exploitations et des dizaines d’agences publiques et d’organismes parapublics entourant le secteur. Pas moins de 13 organismes différents sont habilités à faire des contrôles. Les agriculteurs passent en moyenne neuf heures par semaine à effectuer des démarches administratives.
OGM, pesticides, nucléaire, toutes les technologies sont bonnes à jeter dans les griffes du principe de précaution. Mais le risque est partout. Comme l’absence de risque est indémontrable par la démarche scientifique, n’importe quel groupe d’intérêt peut désormais faire interdire une pratique innovante. Les initiatives des organisations bioconservatrices radicales se multiplient pour empêcher des technologies dont le risque pour la santé et l’environnement n’est pourtant pas scientifiquement établi (gly- phosate, NBT, zones de non-traitement).
D’après la mutualité sociale agricole (MSA), 40 % des agriculteurs ont gagné moins de 360€/mois en 2016 (subventions incluses). Les revenus des agriculteurs ont sensiblement baissé, car beaucoup d’entre eux sont sortis de la course à la compétitivité internationale. Plutôt que de les libérer de leurs entraves, le gouvernement a créé la loi Egalim en 2018 pour tenter d’augmenter les revenus des producteurs en instaurant des mécanismes de contrôle des promotions à la distribution. Les prix ont augmenté pour le consommateur. Les marges aussi pour les grands distributeurs, sans que cela ne satisfasse les agriculteurs.
Inspirons-nous de la Nouvelle-Zélande qui a libéré l’agriculture de son administration et de ses subventions dans les années 1980. Depuis, ce pays a signé des traités commerciaux avec les plus grandes économies du monde. Son agriculture est compétitive et de qualité et représente 6 % de son PIB, contre 1,7 % en France.
La crise du coronavirus ne révèle pas le besoin d’un repli protectionniste, mais l’urgence de libérer les agriculteurs de tous ceux qui revendiquent vouloir les protéger. En ce sens, nous proposons les mesures suivantes :
- Éliminer toutes les restrictions contrôlant la qualité et les quantités des productions,
- Supprimer le contrôle des structures et les SAFER,
- Financer les organisations interprofessionnelles, les chambres d’agricultures et les syndicats agricoles uniquement par le paiement de cotisations volontaires de leurs membres, libres d’y adhérer ou non,
- Privatiser l’Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) et lever les monopoles intellectuels des AOC et du label « bio »,
- Éliminer progressivement les subventions et supprimer la politique agricole commune (PAC),
- Abolir le principe de précaution pour lui préférer l’évaluation des risques et la responsabilité juridique de l’innovateur,
- Adopter une politique libre-échangiste volontariste à l’export.