On a tout essayé, sauf ce qui marche. Pour l’instant, comme au cours des neuf précédentes réformes, les débats tournent autour de l’âge de la retraite, des trimestres de cotisations, du calcul des pensions, ou de toute autre me- sure de nature non pas à sauver les retraites, mais à sauver le système de retraites par répartition, récemment déguisé sous le masque des retraites par points.
Système par répartition : explosif
D’entrée de jeu, Monsieur Delevoye s’était vu imposer une contrainte insurmontable : ne pas remettre en cause le système de répartition. Or ce système est en soi explosif dans une population vieillissante. Comment l’équilibrer quand le nombre des actifs cotisants par rapport à celui des retraités pensionnés ne cesse de diminuer ?
Le rapport qui était de 4,4 en 1960 n’a cessé de baisser pour être de 1,7 actuellement : dans quelques mois chaque jeune Français aura à son entière charge la pleine pension d’un autre Français retraité. Sympathique, cette solidarité intergénérationnelle, mais bien involontaire et surtout bien ruineuse, car les jeunes sont actifs de plus en plus tard (un quart d’entre eux passent par le stade du chômage), et les vieux (comme moi) n’en finissent plus de vieillir…
Dans le système par répartition, celui qui cotise ne met pas de l’argent dans une caisse pour qu’il lui soit rendu avec intérêts lorsque l’âge de sa retraite sera atteint. Sa cotisation sert à payer les retraités du moment. L’argent des cotisations des actifs n’est pas plus tôt entré dans les caisses qu’il en ressort pour payer les pensions des retraités. Donc, les réformateurs ont mission de résoudre un problème de plombe- rie jadis posé aux écoliers en CM1 : comment maintenir le niveau de la baignoire en faisant en sorte que le débit du robinet (flux entrant des cotisations) soit au moins égal à celui de l’écoule- ment (flux sortant des pensions) ?
L’avantage de repousser l’âge de la retraite c’est d’agir sur les deux flux : davantage d’années de cotisations, et moins d’années de pensions. Mais, sauf révolution démographique ou croissance exceptionnelle des ressources des actifs, on en viendra tôt ou tard à la retraite à 80 ans. Cette fatalité est évoquée par nombre de commentateurs qui com- parent notre âge légal actuel (62 ans) à celui de la plupart de nos voisins européens. Mais ils oublient que ces voisins- là ont réduit le champ de la répartition pour ouvrir la porte à la capitalisation, système banni et honni en France.
Répartition ou capitalisation ?
Dans un système de capitalisation, au lieu de verser les cotisations dans un tiroir-caisse d’où l’argent s’évapore aussi vite qu’il y est entré, on les place dans un fonds de pension qui va les grossir. L’argent demeure dans le patrimoine de l’épargnant, il a un compte épargne retraite qui va bénéficier du « miracle de la capitalisation », qui n’est autre que la loi des intérêts composés. L’assuré connaît à tout moment la position de son compte et peut l’abonder s’il le désire.
Un placement de 100 euros à un taux de 5 % a une valeur de 128 euros en cinq ans, la mise est doublée en 14 ans, et triplée en 22 ans. Si l’on capitalisait la totalité des cotisations actuelles, le retraité pourrait toucher, selon les cas et les circonstances, en pension une fois, voire jusqu’à une fois et demie son dernier salaire.
Aujourd’hui le « taux de remplacement net » permet d’arriver péniblement en moyenne à 60 %. La perte en capital subie par un smicard dans le système actuel représente 250 000 euros (pour une durée de vie moyenne). Mais les Français le savent-ils ? Le smicard en question sait-il que son « assurance vieillesse » (qui n’a d’assurance que le nom) lui coûte annuellement deux mois de salaire net (2 500 euros) ? A-t-il le sentiment qu’il en aura pour son argent ?
Ceux qui en ont les moyens ont investi dans la pierre ou ont souscrit des contrats d’assurance-vie, qui les protègent contre la faillite de la Sécurité Sociale, mais qui les amène à payer deux fois leur retraite (au demeurant le législateur a eu depuis quelques années tendance à pénaliser ces opérations). Mais le smicard et les gens les plus modestes sont pris au piège, et prendront ce qu’on voudra bien leur donner quand ils s’en iront à 65 ans ou plus. Ils auront une pension « d’équilibre »c'est-à-dire ce qui sera dans les caisses au moment requis.
La transition
Alors, où est le problème ? Il est double : l’un est technique, l’autre politique. Le problème technique est celui de la transition : comment passer de la répartition à la capitalisation ? Il n’est pas question de spolier les personnes aujourd’hui prisonnières de la répartition. Eponger tous les droits acquis en répartition par tous les Français (ce qui représente 4 fois le PIB) requiert une progressivité sur une longue période (que l’on peut concevoir, suivant les modalités, de 20 à 70 ans, soit une à trois générations). Mais l’introduction d’une dose croissante de capitalisation, notamment par les choix offerts aux plus jeunes, permet d’honorer les dettes et de garantir des retraites sûres et avantageuses pour l’avenir. Les difficultés techniques ont été aplanies dans un grand nombre de pays, les réformateurs ne devraient pas faire l’impasse sur les expériences anglaises, suédoises, voire allemandes, ni sur les recherches (qui se sont multipliées aux Etats Unis à l’occasion de la réforme Obama)*.
D’autre part, et cet aspect de la capitalisation est ignoré ou sous-estimé, les cotisations capitalisées offrent une masse d’investissements considérable pour l’économie, l’épargne va permettre une croissance très accélérée, créatrice d’emplois et d’un pouvoir d’achat compensant les sacrifices de la transition. Dans le pays pionnier de la transition, le Chili, la transition prévue pour s’étaler sur 25 ans a été terminée en 14 ans grâce à des taux de croissance du PIB supérieurs à 10 % chaque année.
Capitaliser c‘est libérer
Le vrai problème est politique : c’est la répulsion que provoque le mot de capitalisation dans l’esprit de la classe politique, tous partis confondus. La capitalisation, c’est la finance, c’est le capitalisme : pouah !
Va-t-on enfin se libérer de ces préjugés ? Un sondage réalisé par l’IFOP en 2010 montrait pourtant que 82 % des assurés étaient prêts à passer à « un compte d’épargne retraite par capitalisation ». Intuitivement ils comprennent que la retraite peut devenir un choix personnel : plutôt que de dépendre d’une machine administrative coûteuse et ruineuse ils aspirent à prendre leur responsabilité et à gérer leur future retraite en fonction de leur âge et de leurs revenus actuels, ils veulent savoir ce qu’ils ont sur leur compte. C‘est d’ailleurs le seul argument en faveur de la mythique « retraite par points » que le futur retraité pourrait moduler, mais c’est aussi son incohérence puisque la valeur du point demeure mystérieuse à tout moment : répartition oblige.
Capitaliser c’est se libérer d’une incertitude sur l’avenir ; au lieu de vivre au jour le jour et de s’en remettre à une administration en faillite permanente, chaque individu, chaque famille, exerce sa responsabilité et gère ses vieux jours sans spolier ses enfants. Qu’est-ce qui fait la dignité de l’être hu- main : la servitude ou le libre choix ?
*J’ai essayé naguère de les expliquer. Futur des retraites et retraites du futur, 3 tomes (2009-2010) Librairie de l’Université Aix en Provence et, plus récemment dans une version simplifiée Comment sauver vos retraites (2015) Ed.Libréchange.