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Construire l’Europe autrement

« Celui qui n’ose pas s’attaquer à ce qui est mauvais, sait mal défendre ce qui est beau. » La clairvoyance de Robert Schuman qui s’exprime le 9 mai 1950, rappelle qu’en ces temps d’euroscepticisme des préconisations pragmatiques pourraient apporter les moyens de sortir de l’impasse actuelle.

La crise que traverse le projet européen fragilise l’ensemble économique, social et culturel le plus riche, le plus éduqué et le plus pacifique de la planète qui peine à accomplir son destin de puissance politique, avec ses 512 millions d’habitants. Dans un moment où émergent des puissances-continents (Chine, Inde…) qui expriment leur volonté de peser dans le concert des Nations et où d’autres comme la Russie, cherchent à retrouver leur leadership ancien, ignorant une multipolarité de fait, l’Europe fait figure d’un géant économique et d’un nain politique et diplomatique.

La montée de périls transnationaux diffus, pandémie, terrorisme, cyberattaques, migrations politiques économiques ou climatiques n’en finissent pas de démontrer l’importance d’une « taille critique » dont aucun état européen ne dispose à lui seul, et que seule l’Union Européenne nous apporte dans un monde globalisé. Ce qui est vrai pour justifier la constitution de géants industriels européens l’est sans doute pour les États.

L’anxiété des opinions publiques devant ces périls et les réponses insignifiantes d’une organisation démunie sur le plan politique ou diplomatique l’a conduite à écouter toutes les sirènes du repli de l’euroscepticisme voire d’un souverainisme aventureux. L’Europe n’a pas répondu à leurs besoins les plus urgents : sécurité intérieure et extérieure, défense, environnement, cyber défense. Pendant ce temps elle s’est embourbée dans les questions que le marché aurait résolues en proximité par l’innovation, l’énergie des européens et la qualité de leurs contre-pouvoirs.

Cette volonté d’intégrer par le haut les États, les élites, les administrations, contre des opinions publiques de moins en moins enthousiastes a créé partout des vagues d’euroscepticisme voire d’hostilité alimentant des courants politiques « souverainistes » qui n’existaient pas auparavant, réussissant à fédérer des protestations qui avaient peu en commun sinon l’anxiété de perdre la maîtrise de leur destin.

Cependant, on voit bien que la demande « européenne » réclame davantage de pouvoir régalien intégré, pour assurer la sécurité intérieure d’un continent ouvert et non celle d’un contrôle tatillon du quotidien. Des organisations de consommateurs et une justice souple devraient pouvoir réguler ses contrôles sans fabriquer davantage de fonctionnaires qui constituent désormais une image pénible de l’Europe aux yeux des électeurs.

Nous proposons en conséquence un retour à la véritable logique de subsidiarité, en opposition avec la conception dévoyée de ceux qui se disent « fédéralistes » mais prônent la création d’un grand État centralisé, où les États membres seraient relégués au rang de collectivités territoriales. Le principe de subsidiarité garantit que les décisions sont prises au plus petit échelon possible, sauf quand la décision nécessite absolument une politique commune. Ainsi, la présence de l’Union Européenne dans toutes les décisions économiques a entrainé un nivellement par le bas, alors que les États devraient reprendre la main pour adopter les solutions qui correspondent le mieux à leur territoire. A contrario, Il est urgent que les États de l’Union Européenne fassent preuve de solidarité pour résoudre les grands enjeux régaliens de notre temps : la défense commune, la lutte contre le terrorisme et la résolution de la crise migratoire.

MOINS D’EUROPE POUR MIEUX D’EUROPE

Revenir à la subsidiarité

Le principe de subsidiarité qui est au cœur du projet européen consiste à restreindre les compétences et l'action de l'Union à certains secteurs et à certains niveaux où il y a du sens à mutualiser les moyens, et se désengager des compétences qui seront mieux gérés au niveau national ou local.

Pour autoriser la circulation des produits par exemple, l’UE a voulu en contrôler toutes les normes de fabrication et de distribution. Dans un relevé datant de 2014, le droit européen — le fameux « acquis communautaire » — comptabilisait 154.000 pages (source : EUR-Lex, via Business for Britain). En 2015 sont encore venus s’ajouter 1487 règlements, 53 directives, 1156 décisions et 2267 jugements de la Cour de justice UE (source : EUR-Lex).

La totalité de ces textes, aujourd’hui transposés par obligation en droit national, démontre tout d’abord que la Commission européenne a des priorités plus que douteuses, que le principe de subsidiarité n’est manifestement pas respecté et enfin que la liberté des opérateurs économiques et des consommateurs est particulièrement contrainte. Le libéralisme c’est pourtant la liberté et le refus de la normalisation à outrance.

Le rêve de nombreux porteurs du projet européen, que d’aucuns qualifient d’européistes, est bel et bien la création d’un super État qui supplanterait les États traditionnels. Dans la réalité, ils font souvent fi du principe de subsidiarité, principe pourtant essentiel et inscrit à l’article 5 du Traité sur l’UE (TUE). La subsidiarité permet de rapprocher la décision au plus près du citoyen et renforce d’autant plus sa légitimité démocratique.

Le principe de subsidiarité permet en outre de créer une concurrence institutionnelle entre les États membres. Une grande partie de la littérature académique estime que le principal facteur de l’essor de la civilisation européenne à la Renaissance est dû à la forte fragmentation du pouvoir politique, encourageant les dirigeants à adopter les politiques publiques les plus efficaces et justes possibles. Alors que certains voient cette concurrence institutionnelle comme déloyale, la réaffirmation du principe de subsidiarité est en réalité le refus du nivellement par le bas.

Ainsi, la concurrence fiscale n’est pas source de « dumping » fiscal mais de stimulation de la « compétitivité fiscale ». Elle favorise l’émulation entre gouvernements en poussant ces derniers à offrir un environnement économique favorable aux entreprises et aux particuliers. Ils sont, par ce mécanisme, amenés à se soumettre à une certaine discipline budgétaire. Le taux de prélèvements obligatoires moyen dans l’Union européenne est de 40% par rapport au PIB, cette forte pression fiscale indique une discipline budgétaire insuffisante et donc une concurrence fiscale encore trop faible. Dès lors, il n’y a rien d’étonnant que la France, qui peine à s’écarter des 48% de taux de prélèvement par rapport à son PIB, le taux le plus élevé de l’Union, soit en faveur de l’uniformisation fiscale.

IMMIGRATION, SÉCURITÉ, DÉFENSE

Liberté et sécurité sont inséparables et ne peuvent s’obtenir au détriment l’une de l’autre. Comme disait Benjamin Franklin, « ceux qui sont prêts à renoncer à leur liberté pour un peu de sécurité ne méritent ni l’un ni l’autre et finiront par perdre les deux ». C’est pourquoi, s’il est nécessaire de défendre nos libertés publiques face aux menaces terroristes et à la subversion islamiste, cette défense ne peut se faire au détriment de la liberté elle-même. Il faut regarder ces dangers avec réalisme et adopter des solutions pragmatiques, sans céder aux sirènes du populisme.

Faire face à l’immigration massive

La gestion actuelle de la crise migratoire sans réelle coordination européenne n’est pas satisfaisante, elle expose les pays de l’Union Européenne à de nouveaux problèmes sécuritaires et alimentent les populismes europhobes. Les flux en provenance d’Afrique et du Proche Orient, régions en proie à l’oppression, à l’intégrisme et au sous-développement, vont inéluctablement augmenter de manière exponentielle, ne serait-ce qu’en raison d’une explosion démographique sans précédent dans l’histoire de l’Humanité. La population africaine a doublé en vingt ans à 1,2 milliards d’habitants, doublera encore d’ici 2050 et représentera 4,4 milliards de personnes à la fin du siècle. À noter que dans le monde en 2050 déjà 50% des moins de 25 ans seront africains. Des dizaines, voire des centaines de millions d’entre eux chercheront, légitimement, une vie plus prospère dans le seul ensemble riche et régi par l’état de droit.

Comme l’a démontré Milton Friedman, on peut disposer d’un espace ouvert, comme l’Amérique du XIXème siècle, ou d’un État-providence, mais nullement les deux en même temps, sauf à risquer d’être submergé et en faillite. C’est pourquoi il faut à la fois : maitriser le flux migratoire, mais aussi faciliter l’intégration par le travail des étrangers sur notre sol. Aujourd’hui, l’impossibilité pour les migrants de travailler durant l’examen de leur dossier, les rend dépendants de la générosité publique, de la dépense publique en fait, et les poussent à créer de dangereux ghettos autour des airs d’accueil où ils se sentent désœuvrés.

Quant à la maitrise des flux migratoires, la défense des frontières extérieures de l’Union doit donc d’abord être revue drastiquement. En contrepartie de Schengen, elle devait être renforcée, il n’en a rien été, abandonnée qu’elle fut à des États de petite taille, comme la Grèce, en quasi faillite de surcroît, ou à une Italie en première ligne des flux du sud, avec pour conséquence la montée des partis démagogues. Dès lors, il est impératif de mettre en place, en accord avec les pays en première ligne, une force européenne de gardes-frontières avec un mandat clair d’intervention et de reconduite.  Il s'agirait de porter à 10.000 le nombre d'agents disponibles à l’agence Frontex d’ici 2020, alors qu’ils ne sont que 2.800 aujourd'hui.

L’agence Frontex verrait son mandat renforcé et la politique migratoire serait mise entre les mains exclusives de la Commission européenne afin d’y apporter une solution globale. La Commission européenne détiendrait un mandat expérimental de 5 ans durant lequel elle aurait à charge de régler la crise migratoire, si les résultats n’étaient pas satisfaisants, les États membres retrouveraient leur compétence en la matière, avec le risque d’un effondrement de l’espace Schengen. Cette proposition est ambitieuse compte tenu de la réticence des États membres à avoir des politiques régaliennes communes, mais elle est la seule réponse crédible qui s’offre au continent, et a le mérite de poser un ultimatum pour une coopération européenne en la matière.

En outre, il est impératif que des « hot spots » soient installés dans les pays de départ plutôt que dans les pays de transit qui exercent sur la France des chantages honteux, comme la Turquie. Les « hot spots » permettent d’étudier les dossiers en amont et de réduire la prise de risques par les candidats à la migration. De plus, ces « hot spots » permettraient une meilleure information de ces populations sur les risques de cette aventure : danger de la traversée, arnaque des passeurs, l’absence de garantie d’une condition meilleure en Europe…

La politique de concurrence et le marché unique européen

La crise du Covid19 a favorisé le retour sur le devant de la scène politique d’un discours en faveur de la constitution de « champions » nationaux, porté par la volonté, très affirmée à Paris par exemple, d’assurer l’ « indépendance nationale » : ses promoteurs ne cessent de répéter que c’est en ayant des leaders économiques sectoriels que l’on se préparera aux prochaines crises. Ils espèrent ainsi que, lorsque surviendront les prochaines difficultés exogènes, la France disposera sur son sol des unités de production de biens et services capables de répondre efficacement aux défis de l’urgence. Évidemment, cette ambition se heurte à quelques limites. En premier lieu, celle de l’incertitude et de l’imprévisibilité.

En second lieu, ce raisonnement fait souvent l’impasse sur les raisons qui ont conduit à ce que les champions ont trop souvent déserté le Vieux continent : sa fiscalité souvent élevée, ses barrières réglementaires qui fragmentent son marché, la fragilité relative de son enseignement supérieur… Pour autant, si l’on considère que l’objectif défendu se comprend d’un point de vue politique, il faut envisager qu’il peut être atteint de deux façons.

D’abord, par la constitution d’entités économiques artificiellement soutenues par la puissance publique, soit au moyen de subventions, soit à travers des protections réglementaires. Cette voie ne semble pas promise à un formidable succès : non seulement le public, comme le privé, ne peut deviner de quoi l’avenir sera fait (au contraire : de solides arguments plaident pour considérer qu’il subit un certain nombre de biais, indépendants de la qualité des personnes qui le servent, qui le détournent des bonnes incitations), mais en outre, elle revient à faire payer ses paris par le contribuable.

Ensuite, par la promotion d’une voie plus offensive de compétitivité qui repose sur un triptyque (recherche, compétitivité, concurrence) et prend forme dans trois politiques: enseignement supérieur, marché unique, politique de concurrence.

L’enseignement supérieur

Dans les classements internationaux, qui s’ils peuvent être critiqués n’en constituent pas moins des étalons parmi d’autres de la réputation des universités, les établissements d’enseignement supérieur français – et même européens, peinent à parvenir dans les premières places du classements (si l’on exclut, comme il se doit, les établissements britanniques de l’Union européenne, les résultats sont plus décevants encore).  A l’inverse, aux  États-Unis se trouvent des établissements d’exception, comme le MIT ou Stanford, avec les écosystèmes d’innovation qui les entourent.

Pour retrouver la voie de la compétitivité, le Vieux Continent doit massivement déployer un enseignement supérieur plus performant, c’est-à-dire qui poursuive en premier lieu un objectif de réussite de tous les élèves, non selon des critères d’académisme uniformes mais selon les souhaits de parcours des jeunes : l’excellence ne se trouve pas que dans l’accumulation de longues études. Cet enseignement supérieur rénové devra, en second lieu, se rapprocher du monde de l’entreprise, non pour s’y soumettre comme certains le craignent, mais pour y trouver des relais, des opportunités d’applications, des occasions de collaborations fructueuses et de financements généreux.

Pour atteindre cette ambition, il faut probablement que les établissements acquièrent une plus grande autonomie, c’est-à-dire la possibilité de définir eux-mêmes, en fonction de leurs ambitions et des besoins de leurs étudiants, leurs formations, leurs organisations, leurs recrutements… Laissons fleurir leurs initiatives, en faisant confiance (enfin !) aux acteurs universitaires sur le terrain plutôt qu’aux gestionnaires dans les bureaux administratifs.

Le marché unique

Pour se déployer pleinement l’innovation doit trouver un marché de consommateurs : aujourd’hui, malheureusement, l’Union européenne reste à cet égard beaucoup trop fragmentée, partagée entre 27 États-membres dont les réglementations ne sont toujours pas suffisamment unifiées -  et qui profitent de la crise pour ériger de nouvelles barrières.

Le marché unique constitue pourtant le cœur du projet communautaire, non un simple moyen prioritaire de rapprochement des économies et des peuples dans l’esprit de ses Fondateur, dignes héritiers de Montesquieu, mais son identité même : l’UE est avant tout un marché qui doit permettre la libre circulation des biens, des personnes, des services et des capitaux sur l’ensemble de son territoire. Force est malheureusement de constater que cet objectif est très loin d’être atteint. La Commission européenne et les Etats-Membres devraient y consacrer le plus clair de leur énergie.

Pour renforcer ce marché, la France devra aussi faire œuvre de détermination, afin de favoriser sa propre compétitivité : il n’est pas nécessaire de rappeler combien sa réglementation tatillonne et sa fiscalité excessive tuent probablement dans l’œuf maints talents qui n’ont pas l’opportunité de se déployer, partant dans la compétition lestés de poids qui brisent leur énergie.

La politique de concurrence

La crise conduira probablement à la disparition d’un certain nombre d’acteurs économiques plus fragiles (ou fragilisés, d’ailleurs, par des réglementations trop contraignantes), entrainés par la faillite ou acquis par des opérateurs en meilleure santé. Autrement dit, l’économie pourrait connaitre, dans certains secteurs, une forme de concentration accrue. Cette situation ne manquera probablement pas de susciter des appels à un renforcement de l’interventionnisme des autorités de régulation. Ils viendront s’ajouter aux politiques de subventions qui prétendent favoriser l’émergence de « champions » désignés par la puissance publique.

Ces deux politiques, qui pourraient sembler contradictoires, relèvent en réalité d’une même logique selon laquelle l’Etat (ou ses représentants) a la capacité non seulement de faire des choix stratégiques plus pertinents que le privé mais aussi de déterminer quelle est la ‘structure’ optimale du marché. Cette ambition est compréhensible mais du désir à la réalité, il y a une marge formidable qui révèle une grande illusion sur la réalité de l’économie de marché, si bien analysée par Hayek.

La politique de concurrence devrait donc probablement concentrer ses efforts non pas tant sur la supervision des opérations de concentration, mais sur l’assurance que les barrières à l’entrée des marchés sont faibles et s’abaissent, sur la garantie que les opérateurs économiques sont sans cesse soumis aux incitations à une performance accrue grâce aux stimulations du marché.